C’était il y a 2 semaines, nous rentrions d’un we parisien en famille. Moi au volant, Mr Mousse s’endormant à côté de moi, Mini Mousse et la Gaufrette sages à l’arrière.
En montant le col que je connais bien, mon cœur une nouvelle fois s’est serré, les larmes sont montées. Je les ai contenues pour ne pas flouter ma vue, mais les souvenirs ont afflué, comme à chaque fois que je passe ce col et ses virages serrés. Presque 5 ans et demi après, je ressens encore cette angoisse sourde que j’ai ressentie tout le long du voyage qui nous transférait Mini Mousse et moi de l’hôpital parisien où elle avait séjourné presque 1 mois à l’hôpital régional où elle est restée 36 jours de plus.
Elle avait 22 jours, soit 32 SA+3 (7 mois grossesse comprise), était encore si petite et si fragile. Le transfert s’est fait en ambulance, dans sa couveuse. Nous avions pourtant insisté pour que je l’accompagne et qu’un pédiatre soit présent, ce qui devait me rassurer. Mais je crois que rien n’aurait vraiment pu me rassurer. Un si long voyage (450 km) pour un si petit bébé.
Nous quittions notre cocon à l’atmosphère feutrée, lumière tamisée, sons atténués, stimulations minimums, entrées limitées et contrôlées, pas un environnement aseptisé mais ça en donnait l’impression rassurante. Nous disions au revoir à ces soignants devenus proches, en qui nous avions entièrement confiance. L’arrivée dans ce nouvel hôpital ne nous effrayait pas plus que ça, ayant eu de très bons échos sur le personnel et sur le service, mais le voyage lui me terrifiait.
Il faut dire que la dernière fois que nous avions pris cette route, quelques mois plus tôt, une ambulance était couchée sur le bas côté, accidentée. Cette image m’obsédait à l’approche du transfert. Et si ça nous arrivait? Que deviendrait-il de mon miracle. Certes la couveuse est attachée ou bloquée dans l’ambulance, mais le bébé lui n’est pas plus protégé que ça. Pas de ceinture, pas de harnais, si l’ambulance se couche ou pile, il se retrouve plaqué contre les parois de sa couveuse. Quelles chances pour qu’elle s’en sorte, elle qui a des petits os tout fins, pas une once de graisse et si peu de muscles pour amortir le choc? C’est avec cette image en tête que je suis montée dans l’ambulance, alors forcément, je n’étais pas sereine.
Mais les difficultés ont commencé dès la sortie de la chambre, avant même de monter dans l’ambulance, on a compris que ce serait encore plus dur que ce qu’on avait imaginé. Le trajet de la chambre à l’ambulance s’est fait sans ménagement. Le bruit des roues, les secousses des pas de portes, la lumière au plafond alors que la couveuse n’était plus couverte, les regards des passants, soignants ou non, qui cherchaient à voir ce tout petit bébé dans la couveuse,… autant de stimulations et d’intrusions auxquelles elle et nous n’étions ni habitués, ni préparés.
Une fois à l’intérieur, les choses ont empiré. Le pédiatre, qu’on va appeler « Dr Je m’en fous » n’avait rien de rassurant. Il a longtemps refusé de couvrir la couveuse sous je ne sais plus quel prétexte, laissant Mini Mousse éblouie par les lumières du plafond. Il a fallu que j’insiste pour qu’il éteigne les lumières, ce qu’il a fini par faire puis pour couvrir la couveuse lorsqu’il a rallumé pour faire je ne sais quoi.
L’heure étant matinale, pour gagner du temps dans les bouchons parisiens, le chauffeur usait et abusait des sirènes. C’est fou ce que c’est fort le son des sirènes pour les passagers dans l’ambulance. Et que dire du bruit de l’ambulance tout le long du trajet, rendant toute conversation difficile, m’empêchant de parler, rassurer mon bébé, forcément apeurée par tout ça.
Pendant le transfert, Mini Mousse était scopée, comme dans sa chambre. C’est à dire qu’elle était branchée en permanence pour suivre son rythme cardiaque et sa respiration, une autre sonde indiquait sa température corporelle, enfin en théorie. Car Dr Je m’en fous ne voulait pas coller la sonde de température qui du coup tombait tout le temps, déclenchant l’alarme à chaque fois et nous empêchant de connaître sa température réelle. La température de la couveuse, elle, était bien visible et beaucoup trop haute, 35°C, je me souviens, alors que dans sa chambre, elle n’était qu’à 32°C car Mini Mousse progressait sur la régulation de sa température. Au début, je n’osais rien dire, pensant qu’il savait ce qu’il faisait, que peut-être la température extérieure étant plus fraîche, c’était nécessaire. Je ne voulais pas encore demander et passer pour la chieuse de service. Mais au bout d’un (trop long) moment, j’ai compris à l’attitude de ma puce qu’elle n’était pas bien, qu’elle avait sans doute trop chaud. Le pédiatre a fini par baisser la température après que je lui ai demandé plusieurs fois de le faire, d’abord timidement, sous forme de question, puis en insistant vraiment. Comme l’air à l’intérieur était toujours chaud, il a ouvert les portes de la couveuse pour faire baisser la température. J’étais partagée entre le soulagement de voir la température baisser et la crainte qu’elle prenne froid, que les bruits soient plus forts et l’indisposent, et ce sentiment qu’elle n’était plus protégée dans son cocon. Et si elle attrapait une infection pare que je n’ai pas osé demander à baisser la température plus tôt?
Outre la température, les alarmes sonnaient à tout va. Je n’ai jamais été obsédée par le scope, à guetter l’écran pour voir si tout allait bien. Dans sa chambre, lorsqu’une alarme sonnait, je regardais ce qu’il en était, sur elle, sur l’écran et j’avisais : en général, elle gérait toute seule et si ce n’était pas le cas, une chatouille au pied et c’était réglé (elle oubliait parfois de respirer et une légère stimulation suffisait à le lui rappeler). Je savais qu’en cas de gros problème, une infirmière viendrait faire le nécessaire. Mais là dans l’ambulance, avec ce pédiatre en qui je n’avais aucune confiance, toutes ces alarmes étaient très stressantes. Je n’arrivais pas à voir ce qui les déclenchait. A peine un coup d’œil et Dr Je m’en fous acquittait sans plus de surveillance. J’avais l’impression que si quelque chose de sérieux arrivait, il ne le verrait pas.
Comme une idiote novice, je n’avais pas prévu de solution hydroalcoolique (SHA). Elle était à disposition dans sa chambre et on en utilisait à chaque fois qu’on voulait la toucher, pour être sûr de ne rien lui transmettre, les infections pouvant être beaucoup plus grave chez les bébés prématurés. Naïvement, je pensais que ce serait pareil dans l’ambulance. Mais non, Dr Je m’en fous, n’avait qu’une petite bouteille de poche que je n’osais pas utiliser de peur de la vider et qu’il n’en ait plus s’il en avait besoin. Du coup, j’avais peur de toucher mon bébé pour la rassurer alors qu’elle en avait tant besoin, stressée par tous ces changements et ces stimulations. Finalement, après plus de 2 heures à me demander ce que je devais faire, la sentant tendue, je suis passée outre la SHA et j’ai fini par poser ma main sur elle de temps en temps, mais toujours avec cette crainte d’empirer les choses et pas aussi souvent que j’aurai aimé ou qu’elle en avait besoin. Je m’en suis beaucoup voulu de cet oubli. J’aurai aimé qu’on m’en parle.
Comme sa tenue. Une de ses infirmières nous avait demandé si on voulait l’habiller pour le transfert, nous précisant que parfois les pédiatres n’aiment pas car ils peuvent moins bien les surveiller (mouvements thoraciques, changement de couleur moins visibles,…). Du coup, on avait décidé de la laisser en couche, comme elle était habituellement. Sauf que ce qui nous paraissait normal dans sa chambre la rendait encore plus vulnérable à l’extérieur. Bon finalement vue l’histoire de la température, c’était peut-être pas plus mal mais quand même.
Ce qui a été le plus dur, c’était cette angoisse de l’accident. Arrivé au fameux col, pourtant pas très haut mais avec une succession de virages que je sais trompeurs pour bien connaître la route, le brouillard se mêlant à la pluie, le chauffeur ne ralentissait pas et l’image de l’ambulance accidentée quelques mois plus tôt m’obsédait. Le bruit m’empêchait de lui demander de lever le pied, je serrais les dents, me focalisais sur Mini Mousse, essayant de la rassurer tout en me rassurant moi-même. Puis le col s’est éloigné, le temps s’est éclairci et nous avons poursuivi la route, un peu moins angoissée mais toujours très tendue et de plus en plus pressée d’arriver.
Manque de chance, à l’arrivée, le chauffeur n’avait pas la bonne adresse et s’est dirigé vers l’ancien hôpital. Quand je m’en suis rendue compte, il m’a fait monter devant pour que je puisse le guider. Moi qui était si soulagée d’arriver enfin, j’ai dû prendre sur moi pour ne pas l’insulter de nous rallonger le trajet d’1/2h.
Ce trajet a été l’un des plus long de mon existence et pour sûr le plus éprouvant. Encore aujourd’hui quand je passe ce col, les souvenirs reviennent me rappelant à quel point ce transfert fut une épreuve difficile, mon pire souvenir de toute l’hospitalisation, avec notre 1ère nuit loin l’une de l’autre.